A retenir

  • Les grands herbivores - chamois, cerf, chevreuil, bouquetin - utilisent différents milieux naturels du massif, forêt, lande et pelouse en fonction de l’espèce et de la saison.
  • L’utilisation de l’espace est encore peu connue dans le massif, d’où la mise en place d’un réseau de pièges photos pour croiser la fréquentation des milieux par ces espèces avec des données de végétation et de température.
  • Ce réseau permettra de mieux comprendre les évolutions de distribution et d’abondance des grands herbivores en fonction du changement climatique ainsi que leur utilisation des différents milieux et de la lande en particulier.

 

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Problématique : le Mont-Blanc un espace pâturé… par des herbivores sauvages

Les grands herbivores les plus présents dans le massif sont les chamois, les bouquetins, les cerfs et les chevreuils. Deux des caractéristiques, en partie liées, du Mont-Blanc sont un moindre pastoralisme « domestique » par rapport à d’autres massifs, et la forte présence de la lande, un milieu moins propice à l’« herbivorie » que la pelouse. Un contexte très intéressant pour observer la « pression d’abroutissement » exercée par les herbivores sauvages sur les milieux naturels et l’utilisation de ceux-ci par ces espèces.

Ces grands herbivores sont tous des ongulés (ils marchent sur 2 de leurs doigts). Les régimes alimentaires sont différents selon les espèces, plus sélectifs pour les chevreuils ou les chamois par exemple. Ils se nourrissent de plantes herbacées, de feuilles et de matière semi-ligneuse ou ligneuse (bourgeons, rameaux, jeunes pousses) notamment l’hiver. Dans le massif du Mont-Blanc comme dans le reste de la France, les populations de grands herbivores sauvages sont en augmentation depuis une trentaine d’années (source OFB). En parallèle, l’expansion de la forêt favorise aussi le développement des herbivores forestiers (chevreuils et cerfs notamment).

De nombreuses études se sont intéressées aux interactions entre grands herbivores et aux effets sur leurs dynamiques de population. Pour cela, dans la majorité des cas, les chercheurs comparent des populations en présence ou non d’une autre espèce. Par exemple, dans le massif des Bauges, la présence du mouflon n’influence ni le rythme d’activité, ni la sélection d’habitat ou la niche alimentaire du chamois lorsqu’ils sont en sympatrie. Au contraire, la qualité du régime du chamois diminue lorsqu’il est en présence d’une forte densité de cerfs, participant ainsi à la diminution de la survie hivernale des jeunes chamois.

Pertinence l’utilisation des versants par les herbivores

Fréquence des différentes espèces parmi les contacts réalisés par le réseau de pièges photos du CREA Mont-Blanc (2018-2020)

Spécificité de la montagne, l’espace est structuré par une variation rapide de l’altitude, donc par la juxtaposition de milieux naturels différents sur de courtes distances. Forêts, landes et pelouses alpines se succèdent. Les herbivores savent tirer profit de chaque milieu, le chamois se retrouvant dans tous les milieux, le cerf en forêt et en lande et le chevreuil principalement en forêt. L’utilisation des différents milieux par ces espèces est peu étudiée dans le Mont-Blanc, d’où la mise en place d’un réseau de pièges photos automatiques.

Une quarantaine de pièges photos répartis tous les 200 m de dénivelé sur des versants du massif, se déclenchent automatiquement au passage d’un animal et permettent ainsi de suivre la fréquentation des différents milieux par les herbivores. Les pièges photos ayant été installés pour la majorité en 2018, seul un état des lieux de l’occupation altitudinale et du rythme d’activité des espèces ciblées (chamois, chevreuil, cerf) selon les saisons est disponible, avant dans quelques années d’avoir des tendances temporelles sur le long-terme. L’abondance des animaux peut être estimée de plusieurs façons : par différents comptages visuels directs ou via des pièges photos, par des comptages de fèces ou autres traces, par des méthodes de capture-marquage-recapture - par lesquelles des individus sont identifiables (bague, GPS…) et suivis. L’approche par pièges photos permet d’être plus constant dans l’observation, quelque soit l’heure ou la météo. Aucune de ces méthodes ne permet cependant de déterminer la taille exacte d’une population mais elles sont utiles pour comparer différentes zones échantillonnées avec les mêmes protocoles ou bien pour étudier l’évolution des densités sur plusieurs années.

Les grands herbivores, chamois, cerfs et chevreuils étant les plus détectés - les plus abondants et/ou les plus facilement détectables par les pièges photos -, cette méthode s’avère pertinente pour étudier leur distribution sur les versants, leur utilisation saisonnière de l’espace et à terme l’évolution de leur abondance.

L’utilisation de l’espace au sein du « gradient » d’altitude et de milieux qu’offre un versant est déterminée par la disponibilité en ressources, alimentaires notamment, et par les relations sociales au sein du groupe, par exemple lors de la reproduction ou de l’élevage des jeunes. L’organisation en gradient de la montagne permet aux animaux de changer rapidement de milieu pour trouver une autre ressource.

Les probabilités d’occupation des différents milieux par les grands herbivores sont conformes à ce qui était attendu, soit des cerfs occupant les milieux forestiers et de landes, des chevreuils principalement en forêt et des chamois répartis dans les trois milieux avec des probabilités plus ou moins grandes par milieu selon les saisons (en forêt au printemps, puis en lande et enfin principalement en en pelouse en automne). Le chevreuil et le cerf n’ont jamais été pris en photo au-delà de 2200m d’altitude.

La lande est a priori un milieu moins propice pour certaines espèces. Les ressources y sont moins diversifiées et souvent ligneuses (rhododendrons, genévrier…) et peu appétentes, la végétation haute et dense ne facilite pas le déplacement. Les trois espèces étudiées y sont observées mais restent à déterminer si elles ne font que traverser ce milieu ou si elles s’y nourrissent. Une première analyse fait apparaître que les cerfs s’y trouvent souvent, plus haut parfois qu’attendu. On sait dans d’autres milieux que le pâturage et l’abroutissement par le cerf peut exercer une pression forte et changer complètement le milieu. Alors que la lande est un caractéristique du Mont-Blanc et un enjeu de gestion du territoire, l’impact et l’abondance du cerf dans ce milieu est une donnée clé à analyser dans les années à venir.

Evolution de l’activité des herbivores en fonction de la saison

Les grands herbivores sont relativement sédentaires mais ils adaptent leur rythme journalier et leur fréquentation des différents milieux en fonction de la saison. L’exemple du chamois montre une présence accrue en pelouse en été et en forêt en hiver, parfois bas en altitude. De même, son activité au cours de la journée est très différente en hiver et en été, avec même parfois une activité nocturne.

Les rythmes d’activité varient d’une saison à l’autre et les observations faites au Mont-Blanc sont conformes aux résultats de la littérature scientifique. On observe une activité fortement bimodale en été chez les trois espèces avec un pic vers 6h et un pic vers 19h. Chez le chamois, on observe un seul pic d’activité en hiver au moment le plus chaud de la journée. De même, l’activité des deux autres espèces (chevreuil, cerf) augmente en milieu de journée en hiver bien qu’elles gardent tout de même deux pics d’activité en début et fin de journée.

Pour le chamois, on observe des différences de comportement entre chamois de forêt et de pelouse en automne et printemps. Les pelouses étant plus hautes en altitude, les températures printanières y sont plus froides qu’en forêt suggérant ainsi le même comportement qu’en hiver en forêt avec un pic d’activité en milieu de journée. Cela est cependant à explorer plus en détail. De même, le chamois est un animal diurne mais on observe parfois dans les pièges photos un pic d’activité nocturne selon la saison, ce qui était peu connu jusqu’ici.

Ainsi, l’un des objectifs finaux de cette étude est de relier la probabilité d’occupation à la phénologie du milieu (enneigement, productivité de la végétation) et au climat, pour comprendre plus finement comment les espèces optimisent les ressources à leur disposition le long du versant en fonction des saisons.

Perspectives évolution à long-terme des herbivores

Jeune bouquetin

Jeune bouquetin

Mieux connaître l’occupation de l’espace des herbivores en fonction de l’altitude et de la saison permettra à terme de croiser ces données avec des données climatiques et de végétation. Cette dernière change avec le changement climatique, aussi bien en composition - développement de la forêt et de la lande -, qu’en saisonnalité - démarrage et pic de productivité végétal de plus en plus précoces. La question à l’étude pour l’avenir des herbivores est donc de savoir s’ils resteront « synchronisés » avec leur milieu.

Il a déjà été observé une « désynchronisation », chez les bouquetins et les chamois notamment, entre le cycle d’élevage des jeunes et la productivité végétale. En effet, les jeunes ont besoin d’une herbe tendre et particulièrement nutritive lors du sevrage. Or la date de mise bas varie peu chez ces mammifères, alors même que la végétation est de plus en plus précoce. Ce décalage entre saison de reproduction des herbivores et saison de végétation entraîne une croissance moins optimale chez les jeunes et une plus forte mortalité l’hiver suivant. Si les herbivores ne peuvent facilement adapter leur « timing », peut-être peuvent-ils s’adapter spatialement en se déplaçant vers de meilleures ressources ou peut-être au contraire l’évolution de la végétation vers plus de lande et de forêt ajoute-t-elle une contrainte spatiale à une contrainte temporelle déjà connue ?

Il existe encore peu d’études en montagne à l’échelle de versants, or les herbivores sont particulièrement mobiles, au gré du déneigement et de la végétation. La démarche de pièges photos, qui inclut une plateforme d’identification participative des animaux pris en photo (plateforme Wild Mont-Blanc), permettra de croiser ces perspectives spatiale et temporelle pour mieux comprendre les dynamiques de population des herbivores du Mont-Blanc.

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